Résumé
"Ce que cherche ma parole sans cesse interrompue, sans cesse insuffisante, inadéquate, hors d'haleine, n'est pas la pertinence d'une démonstration, d'une loi, mais la dénudation d'une lueur imprenable, transfixiante, d'une fluidité tour à tour bénéfique et ravageante. Une respiration. Classer, isoler, fixer ; ces exercices menés à leur somnolente utilité, nous voici mûrs pour l'insomnie de la genèse. Tous ces chemins que j'emprunte débouchent sur quelque impossible où seul l'exercice vertical de la parole maintient le mouvement : menace, bonheur et perte. Et nulle part de terme qui résoudrait, qui rassurerait. Rien que ce mal étroit, rien que ce large qui excède. On ne peut clôturer la poésie : son lieu central s'effondre en lui-même, en une compacité qui se consume, qui se troue. Silence infondé où, contre toute preuve, s'avance encore une fois la parole fragile, la parole scandaleuse, la parole écrasante, la parole inutile. [...] Écrire un poème qui ne serait pas un relevé de traces, traduction ou mise en forme, décruage des différentes couches du vécu, de ses arborisations prodigieusement entremêlées - écriture d'une lecture à un autre niveau -, mais croissance et mouvement simples, issus de nul centre et de nul commencement, ses branches, ses feuilles, ses fruits n'étant pas là pour renvoyer à autre chose, pour symboliser, mais pour conduire la sève et la vivacité de l'air, être leur bourdonnement et leur activité, nourriture et ensemencement. Et la lecture ne serait plus déchiffrement d'un code, réception d'un message ; il ne s'agirait plus de lire de son poste d'observation prudemment extérieur, mais de se couler dans le cheminement imprévisible qui est, d'un même geste, le mouvement et ses lois, la différence et l'identité, la forme qui se construit et se défait. Lire et écrire : accueillir, aller avec, creuser, respirer, jaillir." Lorand Gaspar.