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Le fleuve
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Librairie Eyrolles - Paris 5e
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Le fleuve

Le fleuve

Pauline Guéna

140 pages, parution le 06/01/2005

Résumé

Un premier roman subtil et puissant, l'échappée amazonienne d'un homme au lourd passé.

Il est revenu se mesurer au fleuve et y chercher celle qu'il aime. Pour la retrouver, il ira s'il le faut jusqu'à la source indienne, en territoire interdit. D'abord large comme une mer, le fleuve devient hostile à mesure qu'il s'étrécit. Accompagné d'un piroguier et d'un takariste, ils ne seront pas trop de trois hommes pour vaincre les flots ardents.Ce fleuve, c'est sa vie. Il en remonte le cours. Confronté à ses secrets, il y retrouve l'ombre de son père le traître, les visages de ceux qui furent ses amis, et recolle les morceaux de son existence brisée. Mama Yacine, la tenancière du cabaret, prof' Dembali que le Grand Man a condamné au silence éternel, les orpailleurs prêts à tuer père et mère: les gens du fleuve, en ce Far West dégénéré, sont à nul autre pareils. Ce voyage fait rejaillir une ultime fois sa douleur, pour la faire taire à jamais.

Sommaire

Pierre Zaïre naquit à Passa Dora, un tout petit village du bord du fleuve. Élevé par sa mère et sa grand-mère, il ne connaissait de son père qu'une silhouette qui se glissait parfois dans la chambre maternelle, comme en escale. Lorsqu'il s'installait au bord de l'eau pour regarder passer les bateaux, il lui semblait souvent la reconnaître.Il était le fils unique de ces deux femmes. Quand il eut sept ans, sa grand-mère mourut. Sans gémissements, sans larmes et comme si tout eût été prévu de longue date, sa mère empaqueta alors leurs quelques possessions, fit tuer un coq par le capitaine pour leur porter bonheur, attrapa son garçon par le bras et alla se poster sur la berge. Elle héla la première pirogue qui glissait vers l'aval. La pirogue se rapprocha de la rive, elle releva sa robe, Pierre Zaïre attrapa un sac, elle cala l'autre au sommet de son crâne, et ils entrèrent dans l'eau tiède. Les passagers se poussèrent pour leur faire place, la mère remercia d'un hochement de tête, et la pirogue repartit.Ils voyagèrent toute la journée. Il n'y eut pas même un arrêt pour le déjeuner, pas une pause-pipi, et Pierre Zaïre s'impatientait. Au crépuscule, alors qu'il somnolait contre le corps épais et puissant de sa mère qui se tenait droite, les yeux grands ouverts, les lumières de Saint-Laurent apparurent. Elle le réveilla d'un pincement pour qu'il voie rosir les quelques lampadaires de la ville, les ampoules et les lampions accrochés sous les porches, et la lueur d'un restaurant dont la terrasse flottait sur les eaux noires. Le quai cimenté semblait désert, mais dans l'ombre retranchée quelques hommes étaient accroupis ou tenaient le mur. À l'approche de la pirogue, ils se détachèrent de l'obscurité, et vinrent jusqu'à la rive. Quand le moteur s'éteignit, quelques plaisanteries s'échangèrent et les tarifs se négocièrent. Maman Zaïre se déplia et sauta hors du bateau. Pierre Zaïre attendit que le piroguier lui passe leurs deux sacs cachés sous la bâche protectrice. Quand ce fut fait, Maman Zaïre sortit d'un repli secret de sa tenue un petit porte-monnaie, lança le prix de la course au takariste, remercia encore de la tête, et défit le noeud qui retenait ses jupes au-dessus de ses genoux. Elle partit, son paquet sur la tête, sans se retourner pour voir si Pierre Zaïre la suivait, tirant péniblement son baluchon. C'était un enfant petit pour son âge, mais elle l'élevait comme un homme. Elle marcha sans hésiter, tournant le dos à la ville et ses lumières, et c'est au bord du fleuve, entre deux racines, couchés l'un contre l'autre, qu'ils passèrent la nuit, après avoir grignoté des petits pains de manioc qu'elle avait cuisinés avant le départ.Pierre Zaïre, serré contre sa mère, n'eut pas froid. À l'aube, elle le réveilla d'une bourrade, et ils firent ensemble leur toilette dans le fleuve. L'eau glissait sur la peau lisse des bras de sa mère, elle aspergeait son visage, se mouchait, arrosait encore ses épaules, frottait ses pieds, et Pierre l'imitait en tout. Ils laissèrent le soleil les sécher. Il n'y avait aucun mouvement autour d'eux, ils étaient en bordure d'un sentier de terre qui rejoignait un nouveau lotissement de l'agglomération, un quartier qui serait réservé aux créoles et aux Blancs de la métropole, où les petits pavillons fleuris étaleraient leurs jardinets grillagés entre des rues à angles droits, et où entre tous les toits rouges et presque plats scintillerait le bleu outremer des piscines. Mais pour l'instant le sentier était désert, les villes s'éveillent plus tard que les campagnes, et ils profitèrent un moment du calme et du soleil en grignotant les derniers petits pains. Puis Maman Zaïre se leva et, comme la veille, elle partit sans se retourner, Pierre Zaïre trottant à ses basques. Il n'avait jamais vu la ville. Les trottoirs asphaltés l'étonnèrent, les boutiques le stupéfièrent. Tous les négoces de Saint-Laurent étaient tenus par des Chinois. Chaque commerçant déballait sur son seuil des amas de marchandises, des valises en plastique coloré, des parapluies télescopiques, des filets à provisions de nylon, des batteries de cuisine en émail peint de fleurs naïves, des paniers d'osier tressés dans les arrière-boutiques par les femmes et les filles, des caisses et des niches pour chiens, des cages à oiseau. Et à l'intérieur, sur des rangées d'étagères en bois sombre, on pouvait deviner des victuailles, des bocaux pleins de mets rares et succulents. Mais Maman Zaïre ne se laissait pas impressionner, elle allait vite et droit sur le bord du trottoir, et Pierre Zaïre n'osait pas traîner. Elle traversa la ville de part en part, sans hésiter une fois, marchant fièrement et ne cédant le passage à personne, son sac en équilibre sur le crâne, ses jupes flottant au rythme de ses pas. À un dernier carrefour, plus important que les précédents, et alors que les habitations commençaient à se clairsemer, elle s'arrêta, posa son sac à terre, s'accroupit sur les talons et ne bougea plus. Son garçon l'imita. Les voitures crachaient et vrombissaient autour d'eux au fur et à mesure que passait la matinée et qu'ils attendaient toujours. Peu avant midi un car ralentit en crapotant. Maman Zaïre se dressa et fit un signe de la main. Le conducteur arrêta son étique engin, les portes s'ouvrirent en sifflant, et les Zaïre mère et fils grimpèrent les marches hautes. Il y avait peu d'autres passagers, ils posèrent leurs paquets sur une rangée de sièges et s'assirent sur la rangée de derrière. Pierre Zaïre était fatigué, il avait faim, il avait soif, mais il ne se demanda pas comment sa mère avait su qu'il s'agissait là d'un arrêt d'autocar. Elle savait tout, et c'était bien ainsi. Ballotté par la conduite approximative et l'état critique de la route, il s'endormit contre elle.Ils roulèrent jusqu'à la nuit. Une vieille femme partagea avec Pierre Zaïre sa mangue juteuse. Maman Zaïre remercia la vieille avec raideur. Quand le car parvint à son terminus, il ne restait qu'eux dans l'habitacle. Le chauffeur roula dans le hangar, stoppa, et resta un moment au volant, le dos courbé, pour laisser sa peau s'habituer à ne plus trembler. Enfin il se tourna et leur jeta, en créole et sans les regarder: "Terminus, fin du voyage." Maman Zaïre ne parlait pas le créole, mais elle comprit, et quitta son siège. Hors du hangar il faisait noir, il n'y avait rien d'autre, à perte de vue, que la grande décharge de Cayenne.Il ne fut pas dit comment ils passèrent cette nuit-là, seuls et loin de leur fleuve, ni comment ils passèrent les jours qui suivirent, Pierre Zaïre accroché aux pas de sa mère, grande et droite. Sans doute rencontra-t-elle un gars du fleuve venu tenter sa chance à la capitale, ou une commère embarrassée de ses marmots, qui la renseignèrent. Ou peut-être l'avait-elle entendu dire là-haut, sur le fleuve, les nouvelles poussaient parfois jusque-là: le gouvernement offrait un hectare de terrain à tous ceux qui voudraient bien l'arracher à la jungle. Voilà, c'était dit, la terre appartiendrait à ceux qui la travaillaient. Il suffisait de défricher pour devenir propriétaire foncier.Maman Zaïre choisit son emplacement avec soin. En bordure de nationale, près d'un ru qui disparaissait soudainement et continuait son cours souterrain, elle posa leurs paquets, en sortit sa machette, noua un foulard sur son front large pour empêcher la sueur de couler dans ses yeux, releva ses jupes et attaqua, à mains nues, la forêt amazonienne. Elle travailla longtemps, les jambes arquées en arrière et le dos cassé, et abattit le travail de trois hommes. Au soir du cinquième jour, elle se redressa et contempla son travail d'un oeil aigu – elle avait calculé l'hectare à la taille de ses pas. Le lendemain, elle mit le feu.La jungle taillée brûla toute la journée. La chaleur était infernale, la fumée noire irrespirable. Pierre Zaïre et sa mère se réfugièrent à quelques kilomètres de là pour y passer la nuit, et il s'éveilla à plusieurs reprises pour regarder flamber sa terre. Au matin, la jungle trempée, humide, épaisse, vivante, avait absorbé les flammes, et ils purent revenir. L'abattis était noir et fumant.Dans un coin, Maman Zaïre entreprit alors la construction de leur maison. Sur la décharge, ils récupérèrent et arrachèrent à la convoitise de nuées d'enfants et de femmes des grandes plaques de tôle. Pierre Zaïre trouva un morceau de faux gazon roulé, dont ils tapissèrent leur case après l'avoir nettoyé à la rivière. Ils enterrèrent le bas des plaques, posèrent en diagonale un toit de tôle en laissant une respiration ménagée au moyen de cales de bois, et déroulèrent leurs nattes de paille. Ils étaient chez eux.Le lendemain, Maman Zaïre toiletta son garçon avec acharnement, lui récura le fond des oreilles, et lui fit revêtir des affaires propres, puis elle le prit par le coude, et partit à grandes enjambées sur la route. Elle alla droit jusqu'à l'école primaire la plus proche. La classe n'était pas encore commencée, la cour était déserte. Maman Zaïre y poussa doucement son fils, et lui chuchota: "Allez, va." Puis elle tourna les talons et repartit vers son abattis.


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Caractéristiques techniques

  PAPIER NUMERIQUE
Éditeur(s) Robert Laffont
Auteur(s) Pauline Guéna
Parution 06/01/2005 19/06/2014
Nb. de pages 140 -
Format 13.7 x 21.6 -
Couverture Broché -
Poids 186g -
Contenu - ePub
EAN13 9782221101988 9782221136232

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