Le lendemain, gabrielle

Gabrielle chez l'esthéticienne Ce matin-là, Gabrielle fit le point avec son esthéticienne qui s'étonnait de ne pas l'avoir vue depuis plusieurs mois. - Ne me dites pas que vous avez fait ça au rasoir ?
Gabrielle la rassura, non, non, pas au rasoir, elle n'a pas fait ça du tout, voilà ! Aucune épilation depuis des mois. Et elle réalisa que c'était peut-être pour ça qu'elle ne plongeait dans l'étreinte avec personne, parce qu'elle négligeait sa propre apparence, parce qu'elle laissait les poils se dresser entre elle et l'amour. L'esthéticienne, habituée, lui demanda: - Ah bon ? Pas du tout ? Mais pourquoi ? Ça va avec votre compagnon ? Il est dans la mode, c'est ça ?
Gabrielle lui rappela que Gilles était mort.
- Ah oui ! Oh là là, pardon... Vous me l'aviez dit, mais je m'embrouille... Gabrielle la rassura immédiatement : elle ne pouvait pas se souvenir de tout, avec toutes les clientes qu'elle avait.
- Ben voilà, c'est ça... Mais ça fait combien de temps déjà... ? osa l'esthéticienne.
Gabrielle lui répondit sur le nombre de mois et même de semaines, réalisant que le temps passait, finalement, alors qu'elle avait la sensation que c'était arrivé hier...
- Et vous êtes un peu entourée, ça va ? demanda l'esthéticienne, sincèrement soucieuse.
- Oui. Et Gabrielle s'entendit dire : J'ai même déjà un petit béguin... Deux petits béguins.
- Ah bon ? Mais c'est bien, ça... !!!
- Pour un père. Et pour son fils.
- Ben dites donc...
- Et pour sa femme. Oui. Pour sa femme aussi, je crois.
Eli et Gabrielle marchent le long du fleuve. Elles ne disent rien. Eli, grande et belle, enveloppée dans un long manteau chaud et élégant, Gabrielle, épilée, mais un peu garçon manqué, pantalon et blouson, pull épais et gants de fortune.
Elles ne disent rien. Le vent frappe et caresse, l'eau ondule, la buée sort des bouches entrouvertes.
Personne, pas un chat. Pas un chien. Pas un téléphone portable. Pas un chant d'oiseau. Pas un cri d'enfant.
Un espace ouvert.
Gabrielle se demande " pourquoi ? ", comme ça lui arrive souvent ces derniers temps.
Elle regarde Eli à la dérobée qui respecte avec application le pacte de silence. Elle regarde sa silhouette de liane mûre, à la frontière de la jeunesse et de la bascule. C'est la première fois qu'une femme lui plaît. C'est la première fois.
Eli passe dans un nuage de brouillard, qui est là, juste pour elle, et pour les yeux de Gabrielle. Perdue.
Pourquoi cette femme me plaît, me remue le ventre et le sexe ? Parce qu'elle est l'épouse de David ? Parce qu'elle est la mère de Florian ? Est-ce qu'elle me plaît par alliance ? Pourquoi est-elle là, avec moi ? Est-ce que David sait qu'elle est là ? Est-ce que Florian le sait ? Que se disent-ils ?
- Pourquoi vous êtes là, avec moi ?
Eli semble émue par la question, puis se reprend :
- Dès que je vous ai vue, avec Paule, il y a quelque temps, j'ai trouvé que vous étiez "à part'. Gilles vous a appelé ce jour-là, vous avez répondu brièvement, vous avez raccroché. Je vous ai regardée et j'ai vu vos yeux de rêveuse, absente, un peu résignée. Je vous ai trouvé très, très... belle.
Gabrielle a chaud. Soudain, elle a chaud.
Eli poursuit. - Et depuis, j'ai envie de mieux vous connaître. Et de vous aider.
Quelques pas. Quelques pas encore dans le froid. Quelques pas aux côtés d'Eli. Et... soudain.
Gabrielle lui prend la main.
Eli se tend. Inquiète quelques secondes. Mais elle ne lâche pas la main de Gabrielle.
Elles marchent, main dans la main, encore et encore...


CHEZ ALBAN – INTÉRIEUR JOUR
Bazar de fin de week-end. Journaux qui traînent et coussins en vrac. Tenues maison, pourquoi pas jogging. En tout cas parfum de décontraction...

ELI. – Florian, à table ! (À David.)Après il va mettre ça au micro-ondes, ça sera un sacrilège ! (Tendre.)Surtout quand c'est toi qui cuisine...
DAVID. – C'est une recette secrète...
ELI. – À moi tu peux la dire...
DAVID. – Est-ce que tu me dis tout, toi ?
Eli ne relève pas.
ELI. – Tu as trouvé une solution avec Bercot ? Il a mis les comptes à jour ou pas ?
David sert du vin.
DAVID. – J'ai ouvert une bonne bouteille. On ne peut pas manger ça avec un vin quelconque. (Il hume, remue le verre, geste sûr.)Il va le faire. Il s'est engagé à le faire. Ça sera à jour dans moins d'une semaine. Tu as des nouvelles de...
Florian déboule dans la salle à manger.
FLORIAN. – Désolé, je finissais un mail. Ouah ! Ça frétille du côté des papilles...
ELI. – C'est ton père.
FLORIAN. – Pas besoin de préciser !
DAVID. – Florian...
Florian s'écrase sur la chaise, jambes écartées, beau gosse confiant et fragile.
ELI. – Des nouvelles de qui ?
DAVID. – De Paule.
ELI. – Paule... Elle a une aventure avec un homme marié. Ça la rend très malheureuse, mais ça l'équilibre.
FLORIAN. – Comment on peut être équilibré et malheureux ?
DAVID. – Tu vois par exemple : un funambule, qui vient de se faire plaquer par sa femme...
FLORIAN. – Ou de perdre sa mère...
ELI. – Pourquoi sa mère ?
Geste affectueux de Florian vers Eli.
ELI, râleuse. –Vous me perdrez peut-être un jour... Flop ! Plus d'Eli. Disparue.
Rires des deux hommes.
DAVID. – On rigole...
ELI, plus détendue. –Croyez-moi, c'est tout à fait possible d'être équilibré et malheureux.
Surprise de David.
DAVID. – J'espère que tu ne parles pas d'expérience, mon amour ?
Eli a un brin de sourire insolent qui dit qu'elle ne répondra pas à la question...