Résumé
Grâce à Alain Suied, nous pouvons lire Keats non plus comme « le grand poète anglais » mais comme notre contemporain : « En modernisant (à outrance ?) ma traduction, écrit Suied, je ne fais que suivre l'exemple et l'injonction du poète.?N'est-ce pas à travers ses choix si ''subjectifs'' (et tellement moqués à son époque !) qu'il a ouvert la voie à toute la Poésie moderne ? » C'est le privilège du grand traducteur de donner à relire les classiques autrement. C'est le cas d'Alain Suied avec Keats.
Lisons les premières lignes de sa préface des Odes : « ''Puérile'', ''maladive'', ''vulgaire'', ''abstraite'', ''répétitive'', ''licencieuse'', ''insensée'' : on ne saurait citer tous les qualificatifs qui accueillirent, au XIXe siècle, en Angleterre, la publication des poèmes de Keats. Cette oeuvre vouée à la beauté et au malheur du vivant, à la quête d'une allégorisation vivace de la brièveté et de la disparition d'une existence, à l'éloge d'Homère et de Dante et à la remise en question des conceptions poétiques de ses contemporains et désormais tenue pour la plus influente dans l'univers si riche et si varié de la poésie moderne de langue anglaise, fut l'objet des sarcasmes et des insultes de nombre de ses contemporains. »
Parlant de Keats, il est évident que Suied parle aussi de lui-même. Si pudique, n'est-ce pas sa propre analyse qu'il nous livre en poussant la lecture de Keats dans les zones de l'inconscient ? « Quelque chose se cache derrière ce rejet presque unanime. Et si Keats, mort à 26 ans, avait à la lettre incarné la pensée (ou l'impensé) romantique? (...) Avec les Odes et avec la Vigile, quelque chose d'autre a lieu. (...) Loin du ''mâle'' byronien, hanté par la femme-soeur, Keats abolit le féminin par cette brisure même : répondre à l'Archaïsme, à la figure maternelle intériorisée, non par la célébration romantique, mais par l'identification qui annulera, apaisera l'infinie différence. (...) Le féminin n'est pas le ''faible'', le ''yin'', l'abandon - mais la lutte avec l'Archaïque, le jeu cruel et vital avec le naturel. Le mouvement des Odes est le mouvement même du Romantisme : le retour à la Mère, le refus de l'ordre socio-politique, de la révolution industrielle - mais amené jusqu'à ses ultimes limites, jusqu'à ses fins dernières. »