Résumé
Parfois vanté pour sa stabilité politique, incarnée par un président de la République en place depuis 1982, le Cameroun est pourtant secoué par de graves crises politiques, sociales et sécuritaires depuis une dizaine d'années. Cet ouvrage propose de comprendre ensemble la ténacité de cet ordre politique et ses failles, en interrogeant à nouveaux frais ce qui a été la matrice de concepts désormais classiques de la sociologie politique : « l'Etat néo-patrimonial », « la politique du ventre », ou « la postcolonie ».
En s'appuyant sur la notion de loyauté, telle qu'elle est envisagée par les travaux d'Albert Hirschman, cette étude documente les pratiques ordinaires d'engagement - parfois contraint - dans les institutions de pouvoir. Voter, défiler, travailler dans des institutions d'État, se proclamer patriote : motivées par des intérêts de divers ordres, ces pratiques de loyauté sont revendiquées par les institutions comme autant de marques de légitimité de leur pouvoir. Or elles sont aussi vectrices d'une transformation de ces institutions, et susceptibles de produire de la critique. A partir de nombreux entretiens et d'observations, parfois participantes, menés depuis une vingtaine d'années, ce livre rend compte des contraintes et des possibilités offertes à celles et ceux qui « restent » dans un espace politique même quand ils ne l'approuvent pas, et de l'indétermination politique des pratiques sociales qui peut les faire basculer, assez vite, vers la défection ou la prise de parole critique. L'ouvrage s'appuie sur les outils forgés par les sociologies politiques comparées de la domination, des institutions et des mobilisations pour offrir une vision renouvelée de l'Etat au Cameroun.
L'autrice, française, y apporte une contribution originale, forcément située. Elle prolonge en effet une conversation intellectuelle postcoloniale sur le Cameroun, marquée par des débats intenses sur les termes du débat scientifique, voire même sur la légitimité à s'y exprimer. Au-delà de l'Afrique centrale, il s'agit d'éclairer les ressorts sociaux des situations autoritaires, dont on constate aujourd'hui qu'elles ne sont pas les résidus d'un passé lointain, mais deviennent plutôt l'ordinaire des espaces politiques contemporains.