Résumé
Depuis les années 1990 et les manifestations de Seattle et de Gènes, les organisations économiques internationales ont été mises en cause par les mouvements altermondialistes comme des citadelles du néolibéralisme. Elles ont aussi été prises à partie, plus récemment, par de nombreux gouvernements, l'administration Trump en tête. Mais que sait-on de leur fonctionnement réel ?
Leurs sigles abscons - FMI, OCDE, PNUD, OMS, OMC, BM, BRI, BCE, G7, G20, etc. - et la technicité supposée de leur expertise tiennent à distance le profane ou le militant. Leur composition et leur action ordinaires n'attirent guère l'attention journalistique et citoyenne, ni celle des chercheurs. Et les gouvernements ont tout à gagner à les faire paraître homogènes, coupées des réalités, extérieures à eux, indépendantes.
L'enquête sociologique présentée dans ce livre propose au contraire d'entrer de plain-pied dans ces espaces internationaux. L'on y suit alors des initiatives bureaucratiques oubliées, en faveur d'un État social au cœur de la crise économique des années 1970, autant que des protagonistes bien connus de la mondialisation néolibérale (Hans Tietmeyer, Alan Greenspan, Milton Friedman, Martin Feldstein, Alfred Müller-Armack, Paul Volcker, la Société du Mont-Pèlerin ou le groupe de Bilderberg, entre autres). L'on y étudie comment se structurent les relations transgouvernementales à bonne distance des débats publics, en montrant par exemple comment les « mains gauches » (social et écologique) et les « mains droites » (économique et financière) des États s'y livrent des batailles politiques et scientifiques à la fois.
L'image lénifiante de la « coopération économique » en sort dissipée, de même que celle qui place ces institutions dans un olympe savant hors-sol. L'enquête donne à voir ces espaces hautement confinés et interroge l'institution de cette figure politique non élue, qui fait bon ménage avec le capitalisme, et que l'on peut dénommer : l'épistémocratie internationale.
Sommaire
Introduction
L’organisation politique de l’économie internationale
Objet d’étude sociologique
Pédagogie économique universelle ?
Une sociologie du « libéralisme encastré » et de sa corrosion transnationale
Trois obstacles à l’analyse du « tournant néolibéral »
Enquêter sur les réifications institutionnelles internationales
Les ordres économiques internationaux en pratique
Une imagerie causale intellectualiste : le think tank
Le champ à l’œuvre. Une enquête relationnelle sur l’écriture bureaucratique
Brouillons, champs bureaucratiques et rationalité épistémocratique
Informer un sens des alternatives
Grammaire bureaucratique et prise critique
La question de « l’emploi » et du « chômage » comme analyseur de l’évolution de l’évolution du champ de l’épistémocratie économique
Chapitre 1. Le keynésianisme international se débat
Sens de l’acceptable et tournant néolibéral à l’Ocde
Dans l’étau du champ du pouvoir étasunien
Les stratégies d’internationalisation des départements d’État et du Trésor face au choc pétrolier
L’instrument du déraillement de la Théorie générale
Le pari keynésien d’absorption du monétarisme
Des marchandages sur le cadrage
Un secrétariat incontournable en décalage avec Paul McCracken
Un chairman de synthèses
L’extraversion contrainte du groupe d’experts
Congrès états-unien, Financial Times, G6 et FMI en invités inattendus
Des attaches dans les bureaucraties économiques et les milieux d’affaires
La cristallisation conflictuelle du rapport : du probable au probant
Un écrivain public anxieux face à un groupe multi-clivé
Les ultimes réécritures ou l’effet Bandwagon
Chapitre 2. Lieux neutres en lutte
Consolidation inter-champs et organisation multisectorielle internationale
Variantes de désencastrement
Des monétaristes alertés et courtisés
La défense du conseiller du prince « néo-keynésien »
Un contrepoids au keynésianisme du Département économique de l’OCDE
Ré-encastrer l’économie
Sociologiser et politiser l’économie internationale
Alternatives post-keynésiennes au Département des affaires sociales de l’OCDE
Chapitre 3. L’État social-écologique, chantier transnational enfoui
Mains gauches, mains droites transgouvernementales
Gagner la capacité de parler
L’accumulation de capitaux relationnels et informationnels
La première version du « chômage structurel » ou l’alliance institutionnaliste franco-suédoise
Le projet de Welfare Society
L’économique et le social à parts égales : une gageure institutionnelle
Anticipation de la critique, auto-contrainte et recherche de soutiens extérieurs
Le triomphe transnational d’une crisologie budgétaire
Welfare society au rabais, Welfare State comptable de la crise
La défaite du DEELSA et de l’OIT
Chapitre 4. Souvenirs d'un apparatchik sans avenir
Un charisme de fonction au cœur du « libéralisme encastré » et de son délitement
Les ressorts (dis)positionnels d’un charisme de fonction international
De Cambridge à la Muette en passant par Washington : les tenants d’un capital epistémocratique
Le chef de file effacé d’une technocratie keynésienne portée par la croissance économique
Un charisme érigé par les réseaux de consolidation du « libéralisme encastré » (1961-1971)
Un capital informationnel et relationnel accumulé au contact des directions financière et monétaire des Etats
Les ralliements contrastés des Etats-Unis et de la RFA au technocratisme keynésien
Hubris, apprentissage et prise de risque institutionnel autour des dévaluations de la livre et du dollar
Du pinacle à la débâcle : la densification puis l’effondrement des soutiens à « l’homme-institution » (1971-1984)
Du Smithsonian à la Jamaïque, l’activisme keynésien tenu en respect
Des technocrates déclassés par les réunions des chefs d’Etat du G-6 ou par l’écriture monétariste de l’histoire ?
L’expulsion d’un corps devenu toxique et la mise au pas de l’institution
Chapitre 5. La rédaction du décalogue néolibéral
Transactions collusives et universalisation
Une commande sollicitée
La gestation : « feuille de route » contre études analytiques
« Feuille de route » et « inventaire »… ou comment nourrir l’Etude
L’ouverture contrôlée
Remontées critiques
La capacité rédactionnelle du Comité de politique économique
Rapport d’étape (1) : un niveau élevé de discutabilité
Le ballon d’essai : l’apport des délégations
Hypothèses, plan et concepts toujours déjà là
L’expertise instituée par la chaîne de délégués
Rapport d’étape (2) : consolidation du consensus
La cristallisation du rapport
Le « consensus » résiste aux détractions savantes
L’Etude comme véhicule international vers la Commission européenne et le G7
Finaliser le rapport : lisibilité, imperméabilité, compatibilité
Questionner la chaîne de montage
Chapitre 6. Le crédit vacillant de l’expert
Se maintenir dans la « crise »
Une expertise de crise : la Jobs study (1992-1994)
Un décalogue « universel » de remèdes
Un véhicule médiatique
Un ticket d’entrée aux G7 Emploi
Une expertise tenace : la Jobs strategy (1995-1998)
L’OCDE prise à contre-pied : le programme océdéen à l’épreuve des « faits » économiques nationaux
Dispositif accepté, méthodologie discutable, classements inacceptables
Le ravalement contraint de la « façade » océdéenne (1998-2006)
Un AMI devenu encombrant : la politisation de l’expert
Nouvelles juridictions, nouveaux indicateurs, nouveaux discours
Chapitre 7. L’État social aux prises avec l'OCDE, la Commission européenne et les gouvernements
Homologie et conductivité internationales
Homologie de structuration, analogie dynamique : la production de l’« activation »
Jobs study et Jobs strategy sous la coupe des secteurs économiques à l'OCDE
Le Comité de politique économique de l’UE s’invite à l’installation de la SEE
Conductivité internationale, flux de transactions structurés
Des contacts intersectoriels corrosifs : s’altérer dans l'échange
Alliance horizontale des dominés « sociaux » : DG Emploi, DEELSA, ministères sociaux
Conclusion
Les épistémocrates, entre capitalisme et démocratie
1919, 1944 et après ?
Justice sociale et « libéralisme encastré »
Démocratiser le capitalisme, socialiser l’État
Démocratiser le savoir, sociologiser l’épistémocrate
Financiariser le social ?
Historiciser les grands partages
Au-delà de l’« économique » et du « social »
Post-scriptum sur la post-vérité, les institutions internationales et les luttes sociales
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