Résumé
Vingt ans après Le pauvre coeur des hommes, l'un des derniers romans de Natsume Sôseki, paraît enfin, dans une excellente version due au japonologue Jean Cholley, l'ouvrage qui d'emblée lui valut la célébrité : Je suis un chat. Mort en 1916 à quarante-neuf ans, il vécut aux confins de la psychose la déchirure dont pâtirent tous les intellectuels nés avec la révolution industrielle, politique et culturelle du Meiji. Formé aux lettres classiques chinoises, au haiku, mais envoyé en Angleterre de 1900 à 1903 pour pouvoir enseigner ensuite la littérature anglaise, il s'imprégna si profondément du ton de Swift, de Sterne et de De Foe que, sans nuire à tout ce qu'il y a de japonais dans Je suis un chat, cette influence nous impose de penser au voyage de Gulliver chez les Houyhnhnms ; sans doute aussi d'évoquer Le chat Murr d'Hoffmann. C'est pourquoi le traducteur peut conclure sa préface en affirmant que Je suis un chat "suffit amplement à démentir l'opinion si répandue selon laquelle les Japonais manquent d'humour". Ni Hegel, ni Marx, ni Darwin, qu'il a lus, ne lui ont fait avaler son parapluie. La gouaille, voire la désinvolture apparente, n'empêche pas les chapitres de s'organiser, cependant que tous les styles (jargon des savants ou du zen, ou argot d'Edo, ancien nom de Tokyo) se mêlent pour présenter la satire désopilante d'une société en transition, et même en danger de perdition. Kushami-Sôseki se demande parfois s'il n'est pas fou, mais c'est la société d'alors qui devient folle, elle qui déjà enferme en asile ceux qui la jugent. Le chat ne s'y trompe jamais, lui : aucun ridicule n'échappe à ce nyctalope. Alors que peut-être on en devrait pleurer, on rit follement. Si vous voulez comprendre le Japon, identifiez-vous au chat de Sôseki. Sur un autre registre, vous retrouverez le Meiji de La Sumida, le chef-d'oeuvre de Nagaï Kafû.