Résumé
La mélodie n'est pas un paramètre musical aussi souvent abordé que l'harmonie, voire que le rythme. Longtemps, on observe une discontinuité dans sa théorisation (les auteurs des traités de mélodie ne se lisent pas entre eux, et souvent déplorent que personne avant eux n'ait abordé le sujet...). La mélodie ne se laisse pas non plus schématiser et réduire de manière aussi radicale et sophistiquée qu'un enchaînement d'accords - on se contente alors souvent de constater qu'elle est une inspiration, un don, un miracle ineffable (chacune est singulière) ou, au contraire, on l'aborde uniquement en partant de l'harmonie (degrés forts et faibles, notes "de passage"...).
Pour ce qui est de la musique savante au XXe siècle, ou musique classique contemporaine, seul objet de ce livre, on s'est souvent contenté de parler d'un "tabou" jeté sur la mélodie ; s'il existe de nombreuses études ou articles ponctuels sur l'écriture mélodique, souvent brillants (que nous citerons au fur et à mesure) une synthèse plus globale - fut-ce pour illustrer en détail le fameux "tabou" - fait curieusement défaut. Nous proposons ici (I) une approche de la mélodie en général, qui l'aborde selon quatre perspectives (harmonique et phraséologique, énergétique, gestaltiste, thymique). L'entrelacs de ces quatre types de description sous-tend chacun des commentaires musicaux par la suite. Nous esquissons ensuite (II) une brève généalogie de la mélodie, puisqu'il faut clarifier ce qui sera redéfini ou déconstruit au XX e siècle, et ce qui perdure. Il s'agit en particulier de la différence entre mélodie et voix polyphonique et de celle entre mélodie et thème, deux oppositions qui influencent encore la pratique de la mélodie moderne et contemporaine. À partir de Wagner - "c'en est fini des belles mélodies", écrit-il en 1879 - l'expérimentation entre en scène, pratiquée par certains compositeurs, guère tous.
Nous montrons ensuite (III) que si la mélodie est déconstruite, parfois rejetée dans les discours, ses traits essentiels, ses anciens principes de cohérence, se retrouvent très souvent dans des styles d'écriture non tonales. Nous tenons compte également d'esthétiques plus traditionnelles (Benjamin Britten, Alfred Schnittke, George Benjamin) ou de genres (chansons militantes dans les années 1970) qui la présupposent intacte - l'expérience mélodique ne se résume pas à la seule expérimentation. Et Messiaen, au milieu du siècle, grand défenseur et praticien de la mélodie, est une sorte de clef de voûte du XX e siècle mélodiste.
Nous évoquerons les discours théoriques des compositeurs et/ou ce l'on peut déduire de leur traitement de l'objet mélodique, la manière dont ils le conçoivent et le mettent en scène ; c'est là une sorte de "théorie en acte" que l'on trouve déjà dans les carnets d'esquisses de Beethoven, et qui peut se passer de la parole.
Quant aux contextes, c'est tantôt l'essor d'un nouveau langage qui est crucial (dodécaphonie, spectralisme), tantôt un contexte politique (dans les années 1930 et 1970, le retour à la mélodie a valeur de manifeste), tantôt encore une esthétique individuelle ; nous les rappelons au sujet de chacun des exemples choisis.
Procéder à ce choix peut donner le vertige - combien d'objets mélodiques dans une seule composition de Berg ou Stockhausen... sans parler de leur oeuvres complètes ! La sélection repose donc sur l'hypothèse d'une certaine "typicité" de la mélodie commentée, parfois sur son caractère singulier, parfois simplement sur sa beauté - critère tout subjectif qui, à la fin des fins, fait aussi ressembler cet ouvrage scientifique à un album de mélodies. Les considérations plus générales (tissant idéalement une sorte de petite histoire de la musique savante au XXe siècle vu par le filtre de la mélodie) alternent avec des descriptions plus détaillées (et dans une autre présentation typographique), s'adressant à un lecteur qui souhaite approfondir la question.
Sommaire
Sommaire
I. Perspective systématique
1. L’approche harmonico-phrastique
2. L’approche neumatique
3. Le gestaltisme
4. La mélodie comme flux énergétique
5. L’analyse thymique
6. Une approche feuilletée
II. Perspective historique
1.La mélodie et la voix polyphonique
2. La mélodie nous parle
3. Mélodie et thème
4. « C’en est fini des belles mélodies »
5. Dissolutions de la ligne mélodique
6. La Quatrième de Mahler : une symphonie pré-postmoderne ?
7. Défaire, remonter : l’expérience mélodique au XXe siècle
8. Deux cultures
III. Le XXe siècle
1. Mélodies atonales
Cohérence figurale et cohérence neumatique
Deux interprétations : Stuckenschmidt et Leichentritt
Une ligne libre
Définitions théoriques de la mélodie
2. Mélodies dodécaphoniques
Alban Berg
Le Lied de Lulu
Anton Webern
Réflexions théoriques sur la mélodie
3. La « mélodie abeille »
Stravinsky (1)
Varèse
4. Density 21, 5
5. Retour à la ligne : valeurs de la mélodie dans les années 1920
Le discours sur la mélodie
La communauté, le peuple
Facettes de la mélodie « populaire »
6. Mélodies nouvelles
Florilège
Stravinsky (2)
Mozartiens
7. Politiques de la mélodie
La mélodie totalitaire
8. Ambiguïtés du folklore
Trois modes d’insertion
Le Einheitsfrontlied de Hanns Eisler
9. Incantations
Rites et liturgies
10. Vitrails, décalques, chants d’oiseaux
Mélodies décalquées
La construction neumatique
Les modes
Typologie
11. Le lyrisme de Pierre Boulez
La dimension horizontale
Typologie
La ligne intelligible
La Complainte du lézard
Artisanat furieux
12. Stockhausen et la mélodie parlante
Organicité
Formules
Le chant diffracté
Sprachkomposition
Mantra
Formelkomposition
13. John Cage
14. Le chant suspendu de Luigi Nono
Points, lignes, champs
Canto sospeso
Sul ponte di Hiroshima
15. Modernité modérée
Tonalité sentimentale et dodécaphonie tonalisée
16. Postmodernisme
Fin des avant-gardes
Pathos post-moderne
17. Chansons modernes
Chants partisans
The Local is the Universal
Un folklore complexiste
18. Linéarités
En do
György Ligeti
Hétérophonies
Morton Feldman
L’avant-garde devient linéariste
Valeurs du glissando
19. L’ère du Son
De la structure au son
Mélodies spectrales
20. Mélodies verbales
La mélodie de la phrase
Jonathan Harvey
21. Deux airs d’opéra : la modernité lissée
John Adams
George Benjamin
22. Neige fraîche et glissés
La neige de Johannes Schöllhorn
Les glissées d’Enno Poppe
23. Essai de typologie
Césures et pliures, traces et tracés
La ligne tracée chez Rihm
23. L’ère de la boucle
Omniprésence
Une interprétation politique ?
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