Résumé
Me voici donc, empruntant « ces étranges maquis des littératures maudites», ainsi que mon camarade et ami Thibaut Canuti l'avait annoncé dans son introduction des Actes du Troisième Salon, consacré à Arthur Conan Doyle. Parti rejoindre les cieux d'où il était tombé, celui qui désormais devenu un « Grand Ancien » nous lègue une manifestation florissante, appelée à perdurer, toujours sous la forme du partenariat en vigueur depuis la toute première édition entre Ardenne-Métropole et la Société des Ecrivains Ardennais. J'en profite pour le remercier non seulement de la confiance qu'il m'a accordée en me faisant l'héritier de son Grand Œuvre, mais également de nous laisser dans des conditions optimales pour pouvoir développer tant le Salon en lui même que le principe des « Littératures Maudites» au sein du territoire communautaire. Le Fonds Geneviève Béduneau, le Fonds Jacques Bergier, le Fonds Jean-Pierre Krémer (legs d'un juge carolomacérien comportant son lot d'ouvrages fantastiques et érotiques, fictions ou essais) sont venus compléter une offre qui constitue désormais un riche éventail de littératures maudites.
Par celles-ci qu'entend-on? Bien entendu, changement de pilote ne signifie pas changement d'orientation.
Les thèmes abordés découleront toujours de l'héritage de Louis Pauwels et de Jacques Bergier, du Matin des magiciens et de la revue Planète ... Cette forme de littérature généralement mise à l'écart si ce n'est à l'index des bibliothèques, mais également d'une certaine frange de la culture au sens large, scientifique et littéraire. Car nous sommes bien dans une culture, marginalisée, si ce n'est ouvertement méprisée, ce qui est valable tout aussi bien pour les questionnements scientifiques ou philosophiques (les essais) que pour les créations de fiction ( épouvante, science-fiction, pulps ... ), les deux n'étant d'ailleurs pas forcément distincts.C'est ainsi quel' on peut appréhender les essais comme des contes modernes, tandis que les oeuvres de fiction peuvent contenir des bases de raisonnement à même de questionner les certitudes scientifiques ...
Ce qui nous amène donc à cette quatrième édition du Salon des Littératures Maudites, qui rendait hommage à l'un des plus grands conteurs américains : Edgar Allan Poe. Alors, Poe, maudit? Lui qui est étudié dans les écoles et universités un peu partout dans le monde ? Oui, bien sûr, et maudit plusieurs fois : maudit par par sa vie jalonnée d'abandon, de rejet et d'échecs. Maudit par sa mort infamante toujours enveloppée d'incertitude. Maudit par ses contes «surnaturels», décriés par une critique - et des collègues écrivains - qui avaient beau jeu de le taxer d'infantilité. Maudit par ses velléités contrariées de poète, par le manque de reconnaissance de son influence sur le genre policier, par ses contes scientifiques (préfigurant Jules Verne) éclipsés par son chef d'œuvre « Le Corbeau» ... Maudit également en France par l'ombre superbe, mais pesante des traductions de Charles Baudelaire. Bref, la postérité d'Edgar Poe ne rend pas vraiment hommage à ce maître et pionnier de la littérature américaine, dont la personnalité autant que l' œuvre demeurent injustement méconnues.
Outre l'introduction de Philippe Marlin, les conférences de Jean Hautepierre, Henri Justin et Thierry Gilly boeuf ont ainsi permis de donner un éclairage nouveau sur l'auteur, en analysant respectivement les éléments ésotériques de ses écrits, la vieille et contestée relation entre Poe et la psychanalyse et la toute aussi problématique question de la traduction de ses oeuvres, Thierry Gilly boeuf ayant entrepris la tâche ardue de retraduire l'intégralité de son intégrale ... En complément, l'exposition « Illustrer Poe» s'est tenue en présence de l'artiste argentin Ricardo Mosner, dont les œuvres originales ont constitué le point d'orgue d' une rétrospective forcément sélective, soulignant l'intemporalité des contes de Poe, sources de créativité visuelle, de Gustave Doré jusqu'à nos jours. Enfin, et outre l'habituelle Nuit du Cinéma mettant à l'honneur la variété des adaptations pour le grand écran, une reconstitution théâtrale de la nouvelle « La Lettre volée, rédigée et mise en scène par Catherine de Mortière de la Société des Écrivains Ardennais, avec l'accompagnement musical du groupe Honolulu Blues 440, a conclu l'hommage rendu cette année à Edgar Allan Poe.
Mais le Salon des Littératures Maudites ne se contentant pas de son thème central, d'autres auteurs sont venus nous entretenir d'une variété de sujets maudits. Claude Arz a notamment évoqué le cas d'lngo Swann, ce mystérieux touche-à-tout promoteur de la vision à distance «testée» par la CIA pendant la guerre froide; Paul Mathieu (un Ami de l'Ardenne) est venu nous parler de cette grande et pourtant méconnue figure du fantastique belge qu'est Thomas Owen; forte d'une longue expérience de médium, Pascale Lafargue nous a fait part de ce ses connaissances sur notre propre subsistance par-delà la mort; le régional de l'étape Romuald Leterrier a étudié le rôle potentiel de la rétrocausalité dans la compréhension des phénomènes paranormaux; Egon Kragel a fait le point sur le mystère de l'Homme-Phalène (ou Mothman) apparu à Pleasant View à l'hiver 1966-1967; Emmanuel Thibault a dressé les enjeux de la pratique du channeling, ce tunnel de communication médiumnique provenant d'entités désincarnées ... Enfin, cette édition 2019 s'est terminée de façon originale par l'intervention de Jean-Marc Derouen, conteur breton, très breton, dévoilant à sa manière spectaculaire les légendes maléfiques de la région de Brocéliande.
Édition du passage de témoin, préparée en amont par Thibaut Canuti et la SEA, ce quatrième Salon fut un succès qui doit également beaucoup au soutien unanime apporté par tous les collègues de la médiathèque que je souhaite ici remercier, quitte à verser dans un conformisme peu dans le thème ... Soutien qui s' amorce d'ores et déjà à l'aube d'une cinquième édition qui tâchera de préserver l'essentiel tout en évitant la routine.
Loïc BLAVIER.
Charleville-Mézières, 6 février 2020
Sommaire :
- Le Mot de Loïc Blavier
- Sur les Pas de Poe (1809-1849) de Philippe Marlin
- Edgar Allan Poe et l'Ésotérisme de Jean Hautepierre
- Poe et Freud : Du « Chat Noir » à un Au-Delà de la Psychanalyse de Henri Justin
- Traduire Poe de Thierry Gillyboeuf
- Ingo Swann et la Vision à Distance de Claude Arz
- Les amis de l'Ardenne - Thomas Owen de Paul Mathieu
- Nos Vies Oubliées, De l'après-air à la Réincarnation ? De Pascale Lafargue
- Se Souvenir du Futur de Romuald Leterrier
- L'Homme Phalène et les Évènements de Point Pleasant de Egon Kragel
- Le Channeling de Emmanuel Thibault
- Les Contes Maléfiques de Jean-Marc Derouen
- Poe au Cinéma, Roger Corman et son Cycle de Loïc Blavier