Résumé
M. Pierre-André Irnois fut un des marchands d'argent qui,
sous la République, firent le mieux leurs affaires. Sans arriver aux
splendeurs quasi fabuleuses des Ouvrard, M. Irnois devint très
opulent, et, ce qui le distingua surtout de ses confrères, c'est qu'il
eut le talent de conserver son bien ; enfin, il n'imita pas Annibal : il
sut vaincre d'abord, puis conserver sa victoire ; sa race, si elle eût
duré, eût pu le comparer à Auguste.
Dans sa sphère, son élévation avait été plus étonnante encore
que celle de l'adopté de César. M. Irnois était parti de rien ; ce n'est
pas là ce qui m'émerveille ; mais il n'avait pas l'ombre de talent ; il
n'avait pas l'ombre non plus d'astuce ; il n'était que médiocrement
coquin ; quant à se faufiler auprès des grands ou des petits, à capter
d'utiles bienveillances, il n'y avait jamais songé, étant bien trop
brutal, ce qui remplaçait chez lui la dignité. Mal bâti, grand, maigre,
sec, jaune, pourvu d'une énorme bouche mal meublée, et dont la
mâchoire massive aurait été une arme terrible dans une main
comme celle de l'Hercule hébreu, il n'avait dans sa personne rien
qui, par la séduction, fût de nature à faire oublier les défectuosités
de son caractère et celles de son intelligence. Ainsi, matériellement
et moralement, M. Pierre-André Irnois ne possédait aucun moyen
de faire comprendre comment il avait pu réaliser une énorme
fortune et se placer au rang des puissants et des heureux. Et
pourtant, il était arrivé à avoir six hôtels à Paris, des terres bâties
dans l'Anjou, le Poitou, le Languedoc, la Flandre, le Dauphiné et la
Bourgogne, deux fabriques en Alsace et des coupons de toutes les
rentes publiques, le tout couronné par un immense crédit. L'origine
de tant de biens n'était explicable que par les étranges caprices de la
destinée.